Il n’est pas rare de voir des entreprises remplissant les principaux critères de gouvernance – conseil d’administration qualifié, reportings réguliers, dirigeant expérimenté, etc. – être confrontées à des difficultés qu’elles n’ont pas su anticiper et devant lesquelles elles se trouvent démunies : le chiffre d’affaires ne progresse plus comme attendu, la marge et le résultat se dégradent…
Si, bien entendu, chaque situation est spécifique, c’est dans tous les cas l’occasion de s’interroger sur la pertinence des informations formalisées fournies au conseil d’administration et sur lesquelles se fonde aussi le dirigeant pour piloter son entreprise. Bien souvent, elles se limitent à un reporting mensuel détaillant les résultats comptables et à un budget prévisionnel mensualisé. Pourtant ces deux outils ont pour objectif à la fois de comprendre le passé et d’anticiper l’avenir : cherchons l’erreur !
Reporting et budget prévisionnel constituent les fondements du contrôle de gestion tel qu’il a été conçu il y a un siècle par A.P. Sloan, alors qu’il n’était pas encore président de General Motors. Ce document a servi de base au fonctionnement de cette compagnie pendant les 50 années qui suivirent, période pendant laquelle elle devint la première entreprise industrielle mondiale. L’organisation selon Sloan repose sur deux piliers : d’une part le conseil et son président, qui décident du modèle d’affaire du groupe et allouent les moyens financiers, et d’autre part les unités opérationnelles, indépendantes les unes des autres, qui mettent en œuvre, chacune pour ce qui la concerne, la politique définie par le conseil. Pour permettre à ce diptyque de fonctionner efficacement, Sloan ajoute un système d’information avec des budgets prévisionnels et des reportings assis sur ce qui deviendra ensuite la comptabilité analytique.
Le système d’information interne aux entreprises s’est largement diffusé et développé depuis les années 1920, mais une des conditions de son utilisation semble parfois être oubliée : de nombreuses entreprises produisent budgets et reporting sans avoir préalablement précisé leur modèle d’affaire : quel positionnement par rapport à la concurrence ? Quels avantages comparatifs ? Quelle organisation commerciale par canal ? Quelle supply chain et pourquoi ? Quelles compétences internes ? Quelle R&D ? Savoir répondre à ces questions permet de déterminer les indicateurs clés de performance, souvent non financiers, sans lesquels on ne peut comprendre l’entreprise.
La construction, comme la mise à jour, du modèle d’affaire est plus ou moins difficile suivant les secteurs d’activité. Cela est plus aisé pour les biens ou services à destination directe des consommateurs finaux : la concurrence, tout comme les marchés, y est visible ; l’organisation commerciale et celle de la production y sont nécessairement plus structurées.
La tâche est plus ardue pour les activités interentreprises, en particulier pour celles qui travaillent sur devis, en sous-traitance comme en fourniture d’équipements ou de conseil. Ces firmes sont généralement positionnées sur une niche au sein de laquelle les informations sur les concurrents sont limitées et les marges plus difficiles à maîtriser. La supply chain y varie au rythme des types de commandes passées par les donneurs d’ordre.
Plus ou moins complexe à élaborer, la formalisation du modèle d’affaire s’impose. Lorsqu’il n’existe pas ou reste imprécis et que le résultat de l’entreprise se dégrade, sa révision constitue la première étape du travail de redressement. C’est alors que le dirigeant constate que si ce travail avait été réalisé auparavant, un temps précieux aurait été gagné. Cela se chiffre en ventes et en cash volatilisés. Dans de nombreux dossiers d’investissement, il est frappant de constater que ne figure aucune description précise du modèle d’affaire. Contrairement à ce que cette situation pourrait laisser penser, non seulement le classique business plan ne le remplace pas mais, sans réponses détaillées aux questions posées ci-dessus, il constitue une coquille vide.
Quelle que soit l’entreprise, et bien que la responsabilité de sa construction et de sa mise à jour revienne au dirigeant, le modèle d’affaire nécessite un travail collectif qui doit impliquer l’ensemble des membres du comité de direction, voire du conseil d’administration. Y consacrer chaque année une journée en séminaire afin de disposer d’un dossier rédigé et documenté est une méthode qui a fait ses preuves.
Bertrand PIENS – Option Finance – 11 janvier 2023